Lucie Basch (Too Good To Go) : « Notre rôle est de faire bouger les lignes pour aller vers des pratiques plus vertes et plus durables »
-
06 septembre 2021
- Julie Hervault - Temps de lecture : 5 min
Lucie Basch est la co-fondatrice de Too Good To Go en 2016. Le principe ? Une application permettant de mettre en relation les commerçants qui souhaitent revendre leurs invendus, en fin de journée, et les consommateurs intéressés. Après avoir téléchargé l’appli et activé la géolocalisation, ces derniers ont directement connaissance des invendus proposés à petit prix dans les commerces situés près de chez eux. Il n’y a plus qu’à réserver et à aller récupérer sa commande. Une manière ultra simple de lutter contre le gaspillage alimentaire, adoptée à date par plus de 11,5 millions de Français. Rencontre avec sa créatrice en France, une jeune trentenaire très engagée.
Vous êtes centralienne, vous avez travaillé chez Nestlé, à un haut poste de responsabilité dans la supply-chain et puis un jour vous avez dit « stop ». Quel a été le déclic ? Comment en êtes-vous venue à cet engagement pour Too Good To Go ?
Lucie Basch : Lorsque l’on débute par un graduate program chez Nestlé, on a l’impression qu’une magnifique carrière est déjà toute tracée. Mais je me suis très vite rendu compte que cela ne m’allait pas : l’industrie à laquelle je contribuais et les projets que je menais dans les usines de productions étaient loin d’être alignés avec mes valeurs. Par exemple, ce que l’entreprise célébrait comme des succès, en faisant tourner les lignes de production plus vite, n’en étaient pas pour moi, notamment car ils étaient sources de gaspillage alimentaire. Et c’est cet enjeu lié au gaspillage qui s’est alors imposé à moi : je voulais investir mon temps et mon énergie sur des choses alignées avec mes valeurs. C’est pourquoi j’ai alors dit « stop », en prenant bien soin d’évaluer les risques que je prenais : ayant les diplômes et débutant tout juste ma carrière sans de grosses responsabilités familiales, c’était le bon moment pour prendre un an afin de tester des projets ayant du sens pour moi. Si cela ne fonctionnait pas, au pire, je pouvais toujours revenir à une carrière classique. C’est ainsi que j’ai lancé Too Good To Go.
Nous étions en 2016 et, depuis, en France, l’application a été téléchargée plus de 11,5 millions de fois, avec plus de 35 000 commerçants partenaires qui jouent le jeu. Ce qui fait la force de Too Good To Go, c’est sa simplicité d’usage, couplée à notre réelle ambition et notre passion de faire changer les choses en profondeur.
Les choses changent-elles justement ? Le ministère de l’Agriculture évoque toujours, rien qu’en France, des pertes et gaspillages alimentaires qui représentent quelque 10 millions de tonnes par an…
Lucie Basch : Les choses ne s’améliorent pas mais la prise de conscience tend à se généraliser, ce qui est déjà une bonne base. Et c’est aussi le travail de Too Good To Go de sensibiliser tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Nous avons par exemple lancé une campagne à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, le 5 juin dernier, afin de sensibiliser les Français sur le fait que la production du repas dominical typique (poulet, frites, haricots verts, salade, fromage, desserts et café, Ndlr), de par les ressources nécessaires aux aliments, représente l’équivalent de 1 480 litres d’eau par personne, soit plus de 12 baignoires remplies ! Tout cela rien que pour le déjeuner du dimanche… Notre rôle, à travers ce type de campagnes, est de faire bouger les lignes et de faire évoluer les habitudes, pour aller vers des pratiques plus vertes et plus durables.
Comment faire bouger les lignes ? Qu’est-ce que chacun d’entre nous peut faire pour remédier ou, à tout le moins, limiter le gaspillage alimentaire ?
Lucie Basch : Réduire le gaspillage alimentaire est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît. Il y a plein de stratégies très faciles à appliquer : par exemple, imaginer ses menus à l’avance, et ainsi ne faire ses courses qu’en achetant uniquement les produits dont on a besoin. Ou encore, chercher à bien comprendre le fonctionnement des dates de consommation et ne pas hésiter à utiliser ses sens pour observer, sentir, goûter les produits à date de durabilité minimale (les fameux « à consommer de préférence avant le ») : car, bien sûr, dans l’immense majorité des cas, le produit reste consommable quand bien même la date est dépassée. Enfin, suivre les réseaux sociaux de Too Good To Go est une bonne idée, également : ils fourmillent toujours d’astuces et de recettes anti-gaspi !
Les enfants sont les citoyens de demain et ils ont un rôle de prescripteurs auprès de leurs parents et de leurs proches
Et auprès des professionnels (producteurs, restaurateurs, artisans, distributeurs) et des pouvoirs publics, quels combats sont encore à mener ?
Lucie Basch : Il faut changer leurs habitudes, à eux aussi. Too Good To Go agit autant que possible à tous les niveaux. Nous cherchons à faire évoluer le système alimentaire, les modes de consommation et de production ainsi que la réalité du gaspillage alimentaire. Nous menons de multiples projets pour y parvenir. Je pense par exemple au Pacte sur les dates de consommation, que nous avons initié en janvier 2020 et qui a été signé par 65 acteurs de la filière alimentaire (industriels, distributeurs, fédérations et associations de consommateurs et de protection de l’environnement). Il comprend 10 engagements ambitieux, concrets et mesurables, portant sur la gestion et la compréhension des dates de consommation, afin de réduire le gaspillage alimentaire dû à ces dernières. Ainsi, aujourd’hui, ce sont par exemple 3 000 gammes de produits du quotidien (purée Mousseline, Vache qui rit, St Môret, Chocapic, huile Isio 4 Lesieur, etc.) qui incluent sur leur packaging les pictogrammes du Pacte, qui ont pour objectif d’inciter les consommateurs à faire confiance à leurs sens pour « observer, sentir et goûter » le produit une fois la DDM dépassée (Date de Durabilité Minimale), au lieu de le jeter directement.
Dans un autre genre, parce que les enfants sont les citoyens de demain et qu’ils ont un rôle de prescripteurs auprès de leurs parents et de leurs proches, Too Good To Go a lancé officiellement son projet éducatif intitulé « Mon école anti-gaspi », en mai 2022. Destiné aux élèves de primaire, il vise à sensibiliser et éduquer les enfants au gaspillage alimentaire et à leur donner les bons réflexes le plus tôt possible. « Mon école anti-gaspi » se présente sous la forme d’un kit qui propose aux enseignants et aux professionnels de l’animation périscolaire des outils pour éduquer et sensibiliser les enfants au gaspillage alimentaire. Ces outils, fiches pédagogiques et jeux de société, sont téléchargeables gratuitement en ligne et utilisables dès la prochaine rentrée de septembre. Ce programme a été le fruit de huit mois de test, dans neuf écoles primaires, auprès de 600 élèves, au cours d’une phase pilote soutenue par le ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Plus de 3 000 écoles ont téléchargé le kit !
Au-delà de cette question du gaspillage alimentaire, quels sont vos combats pour la planète, au quotidien ? Et avez-vous un ou des modèles, des personnes qui vous inspireraient tout particulièrement ?
Lucie Basch : J’ai plusieurs combats au quotidien : je me déplace partout à vélo, je m’interdis l’avion pour mes déplacements personnels (ma vie professionnelle me le fait déjà trop prendre ! ), je n’achète pas de vêtement neufs et je suis végétarienne depuis plus de sept ans. Voilà pour les petits gestes du quotidien. Quant aux modèles, je dirais un mélange d’Alexandre Mars (du fonds Blisce), pour son altruisme sans faille, de Nicolas Chabanne (fondateur de la marque C’est qui le patron, Ndlr), pour sa passion sans limite et son envie de repenser les modèles en profondeur, et de Jacques Attali pour sa culture illimitée et son expérience de vie impressionnante.