Camille Chaudron (Girl go Green) : « Les changements auxquels nous devons consentir n’enlèveront rien de nos libertés : ils en créeront de nouvelles ! »
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28 juillet 2022
- Estelle Papillon - Temps de lecture : 5 min
Camille Chaudron, aka Girl go Green, après des années passées à travailler dans le marketing de grands groupes agroalimentaires, milite aujourd’hui pour un monde radicalement différent et pour éveiller les consciences. Oui, l’heure des « on verra demain » n’est plus d’actualité. Oui, il faut agir. Oui, il faut changer de modes de vie et d’habitudes. Mais tout cela doit et peut se faire dans la joie, pour aller vers du mieux. Rencontre avec une femme engagée pour « une radicalité joyeuse».
Vous êtes engagée de longue date pour la transition écologique. Est-ce que vous sentez que les consciences commencent à s’éveiller dans la société ?
Camille Chaudron (Girl go Green) : Je sens les choses bouger, en effet. Cela étant, je préfère toujours rester vigilante : après tout, ma vie fait que je suis beaucoup entourée de personnes très engagées elles aussi, ce n’est donc peut-être pas le reflet de la société civile dans son ensemble que je vois sous mes yeux. Mais il n’empêche, je pense et je veux croire que les choses bougent : les rapports du GIEC sont une réalité, dont on parle de plus en plus, la Convention Citoyenne pour le Climat existe, même s’il y aurait beaucoup à dire et encore plus à faire. Enfin, depuis la crise du Covid, les discours martelant la nécessité de changements me paraissent de plus en plus audibles. Tout le travail effectué par ces milliers de scientifiques et toutes ces personnalités publiques pour tirer la sonnette d’alarme, partout dans le monde, semble commencer à payer. Enfin. J’ai l’impression que l’on assiste à de réelles prises de conscience en la matière, toutes plus indispensables et urgentes les unes que les autres. Cela étant, pour moi, ce n’est malheureusement pas encore à la hauteur des enjeux.
Comment votre engagement est-il né ? Vous travailliez dans de grands groupes agroalimentaires et, de déclics en déclics, l’évidence de changer de vie vous a sauté aux yeux et vous avez franchi le pas ?
Camille Chaudron (Girl go Green) : Pour ce qui me concerne, c’est vraiment une pelote de laine que l’on déroule. J’ai d’abord commencé à m’intéresser à la question des déchets. Je voyais mes poubelles se remplir à toute vitesse chez moi et, en miroir, par mon travail dans le marketing, on me demandait, au quotidien, de réfléchir à des solutions permettant aux packagings des produits de toujours disposer de plus d’espace d’expression. Cela commençait à devenir difficile à concilier, pour moi. Mon job, en fait, était de participer à créer de nouveaux besoins de consommation chez les clients ; des besoins auxquels ils n’auraient pas forcément pensé.
Le grand déclic s’est produit avec les mono-doses de café soluble, qu’un ami avait rapportées chez moi. Plusieurs mono-doses de café, elles-mêmes rassemblées dans une boîte qui, elle-même, avant d’arriver dans les rayons du supermarché, était rassemblée avec d’autres boîtes, elles-mêmes sur une palette entourée d’un film plastique pour pouvoir être plus facilement transportée… C’est comme cela que j’ai commencé à vouloir diminuer mes déchets et, après, cela a été l’engrenage : je me suis mise à manger moins de viande, à davantage végétaliser mon alimentation, changer de fournisseur d’électricité, changer de banque, beaucoup moins prendre l’avion et ainsi de suite.
Vous évoquez toujours l’importance d’être dans une « radicalité joyeuse ». Vos différentes interventions se veulent en effet graves sur le fond, mais légères sur la forme : c'est ça le secret pour sensibiliser les autres ?
Camille Chaudron (Girl go Green) : Le problème, ce n’est pas tant la planète. Elle s’en sortira, elle nous survivra. Le problème, c’est la vie sur la planète. Très concrètement, nous parlons d’une sixième extinction de masse et c’est l’Homme qui, par son action, appuie sur l’accélérateur d’une disparition qui, par ricochet, sera aussi la sienne. Il est quand même sacrément odieux de voir qu’une espèce, par sa manière de vivre, en sacrifie d’autres. Et sciemment qui plus est. Dans ce contexte, c’est vrai que le principe de « radicalité joyeuse » me tient à cœur. Je suis personnellement convaincue qu’il faut freiner notre consommation et laisser derrière nous notre mode de vie, tel qu’on le connaît, fait d’une consommation exacerbée. Mais dire cela, ce n’est pas plaider pour perdre quelque chose ou pour enclencher un quelconque mouvement de retour en arrière. Au contraire : ce dont il faut prendre conscience, c’est que cette décélération à mes yeux plus que nécessaire doit nous conduire à un rééquilibrage qui nous permette, collectivement, d’aboutir à des modes de vie plus sobres, donc plus pérennes et plus durables. C’est d’autant plus important qu’il ne s’agit pas que de nous mais, aussi, et même surtout, des générations futures.
Cet avenir que nous devons construire, certes très différent de nos habitudes d’aujourd’hui, peut et doit être positif, joyeux.
Ce sur quoi vous insistez, c’est que ces efforts consentis, en fait, n’en sont pas du tout : c’est pour aller vers du mieux et seulement du mieux ?
Camille Chaudron (Girl go Green) : Ce changement peut faire peur, en effet, mais il ne devrait pas : cela n’enlève rien à nos libertés mais, au contraire, contribue à en rajouter de nouvelles. Est-ce que, par exemple, ce nouveau mode de vie pour lequel je milite signifie de cesser de voyager ? La réponse est non. En revanche, c’est voyager différemment. Sans avion, c’est très possible. Alors, évidemment, dans la situation actuelle, prendre le bateau pendant des jours et des jours pour se rendre à New York ou ailleurs, c’est plus que compliqué, mais c’est aussi cela qu’il faut repenser, afin de rendre ces choses possibles : cela passe par repenser nos modes de travail ou encore l’organisation de nos sociétés. Il faut repenser les choses dans leur globalité et, donc, vivre radicalement de manière différente. Et, j’insiste, cela peut être quelque chose de très vertueux, de très léger : cela doit participer à rebasculer le curseur pour le faire passer d’un pur individualisme, comme aujourd’hui, à une vraie solidarité et du partage, demain. Tout le monde a à y gagner et cette mise en action joyeuse, je la défends. Je suis pour de la radicalité, parce que l’on n’a pas le choix mais, du fait de mon expérience, je peux l’affirmer : plus je me suis radicalisée, plus j’ai changé en profondeur de consommation et de mode de vie, plus j’ai gagné en confort de vie et en sérénité, en joie, en bien-être.
Vous avez développé une activité de conférencière, vous réalisez des courts-métrages, vous êtes suivie par plus de 57000 personnes sur Instagram : convaincre, expliquer, partager, échanger, œuvrer dans le sens du collectif, c'est primordial pour vous ?
Camille Chaudron (Girl go Green) : De toutes ces années de militantisme qui sont les miennes, ce que je retiens, c’est qu’il y a un combat que l’on n’a peut-être pas assez mené : c’est celui de l’imaginaire, de la culture, des histoires collectives. Il nous faut toujours plus chercher à raccrocher nos imaginaires à un futur qui soit désirable. Les gens ont encore trop souvent peur du changement à venir. Ils le voient comme un avenir à la Mad Max, terrible, angoissant. Ce n’est pas cela. Il y a une autre manière de voir et de concevoir les choses : cet avenir, certes très différent de nos habitudes d’aujourd’hui, peut et doit être positif, joyeux.
Les conférences sont une manière de transmettre ces idées : le savoir, c’est le pouvoir. Sensibiliser un maximum de monde est donc un enjeu. Plus l’urgence est là, plus la voie collective devient prioritaire. Nous avons besoin de faire front, ensemble. Seul dans son coin, sans être connecté à ce formidable levier d’action d’une force collective, cela peut vite être déprimant. Je crois beaucoup au principe de l’espérance en mouvement, tel que décrit par l’éco-psychologue Joanna Macy, voulant que lorsque l’on se met en action, en mouvement, alors il y a de l’espérance : ce sera dur, mais nous allons pouvoir le faire, ensemble, dans la joie. Il ne s’agit pas de lutter contre quelque chose, mais pour quelque chose : pour une nouvelle manière de vivre, pour un monde enfin viable.
Découvrez « Collapsolove » réalisé en 48h dans le cadre du Défi 48h du Festival du très court métrage :
Découvrez le site internet de Camille Chaudron.